DE LA RÈGLE
Des oraisons et des psaumes du jour
CHAPITRE 1
De la
solennité de la troisième, sixième et neuvième heure qui s'observe au pays de
Syrie.
Je pense avoir suffisamment montré, par la grâce de Dieu et
selon mes faibles talents, la méthode suivie en Égypte pour les oraisons et les
psaumes de la nuit.
Nous avons à parler maintenant des solennités de Tierce,
Sexte et None, d'après la règle en vigueur dans les monastères de la Palestine
et de la Mésopotamie. Leurs institutions, comme je l'ai annoncé dans la préface,
nous serviront à tempérer la perfection des Égyptiens et la rigueur inimitable
de leur vie.
CHAPITRE 2
Chez les moines d'Égypte, les oraisons et les
psaumes, unis au travail des mains, se poursuivent tout le jour, sans
distinction d'heures.
Les offices dont nous faisons l’hommage an Seigneur à des
heures distinctes et par intervalles, obligés d'ailleurs par l'avertissement du
frère qui frappe à notre porte, les moines d'Égypte les célèbrent spontanément
tout le jour, en y joignant le travail des mains. Ils s livrent, en effet, dans
leurs cellules, à un labeur ininterrompu, de telle sorte néanmoins que la
méditation des psaumes ou des autres parties de l'Écriture ne chôme jamais
complètement. A cette méditation ils mêlent à tout instant des prières et des
oraisons, donnant ainsi la journée entière aux offices que nous célébrons, nous
autres, à des temps marqués. Les réunions du soir et de la nuit mises à part, il
ne se fait donc point chez eux de solennité publique durant le jour, sauf le
samedi et le dimanche, où ils se réunissent à la troisième heure, en vue de
recevoir la sainte communion. Le sacrifice ininterrompu ne vaut-il pas mieux que
le tribut payé par intervalles ? et le don volontaire n'est-il pas plus agréable
qu'une fonction accomplie au signal régulier ? D'où le sentiment qui fait
exulter le roi David, quand il dit : «Je T’offrirai volontairement des
sacrifices;» (Ps 53,8) et : «Que l'offrande volontaire de ma bouche vous soit
agréable!» (Ps 117,108).
CHAPITRE 3
Que
par tout l'Orient, la solennité de Tierce, Sexte et None compte trois psaumes
seulement; et pourquoi ces heures ont été spécialement choisies pour un office
liturgique.
Dans les monastères de la Palestine, de la Mésopotamie et de
tout l'Orient, les solennités des heures susdites se font tous les jours avec
trois psaumes. De cette manière, Dieu reçoit, à des temps fixés, l'offrande de
prières assidues, et, les devoirs de la religion accomplis selon la mesure de la
sagesse, les travaux indispensables ne souffrent point d'empêchement.
Nous
savons que le prophète Daniel aussi répandait, à ces trois moments du jour, ses
prières devant le Seigneur, dans la chambre haute, fenêtres ouvertes. (cf. Dan
6,10). Et ce n'est pas sans cause qu'ils ont été spécialement destinés pour les
fonctions de la liturgie, s'il est vrai qu'ils ont marqué l'accomplissement des
promesses et la consommation de notre salut.
C'est à la troisième heure que
l'Esprit saint, promis jadis par les prophètes, descendit primitivement sur les
apôtres en prière. Devant le prodige des langues, fruit du saint Esprit répandu
dans leur coeur, la nation incrédule des Juifs s'étonne à la fois et se moque,
disant : «Ils sont pleins de vin nouveau.» (Ac 2,14-18). Mais Pierre se dresse
au milieu d'eux, et s'écrie : «Fils d'Israël et vous tous qui habitez dans
Jérusalem, apprenez bien ceci, et prêtez l'oreille à mes paroles. Ces hommes ne
sont pas ivres, comme vous le pensez, puisqu'il est la troisième heure du jour;
mais c'est ce qui a été prédit par le prophète Joël : «Dans les derniers jours,
dit le Seigneur, Je répandrai de mon Esprit sur toute chair, et vos fils et vos
filles prophétiseront, vos jeunes gens auront des visions et vos vieillards
auront des songes. Oui, dans ces jours-là, Je répandrai de mon Esprit sur mes
serviteurs et sur mes servantes, et ils prophétiseront.» (Jo 2,28).
C'est à
la troisième heure que nous voyons toutes ces choses accomplies; en cet instant
que se réalisa pour les apôtres la venue du saint Esprit, annoncée par les
prophètes.
A la sixième heure, notre Seigneur et Sauveur s'offrit à son Père,
hostie sans tache; et, montant sur la croix pour le salut du monde entier, il
effaça les péchés du genre humain. «Dépouillant les principautés et les
puissances, Il les livra en spectacle;» (Col 2,15) et à nous tous, qui étions
sous le coup d'un acte insolvable et prisonniers de notre dette, Il donna la
délivrance. L'acte, Il le fit disparaître, en le clouant au trophée de sa
croix.
A cette même heure, Pierre reçoit divinement révélation, dans un
transport d'esprit, de la vocation des Gentils, par la nappe évangélique qui
descend du ciel, et connaît la pureté de tous les animaux qui s'y trouvent : une
voix d'en haut lui dit : «Lève-toi, Pierre, tue et mange.» (Ac 10,13).
Car la
nappe qui descend du ciel, relevée par les quatre coins, ne peut évidemment
désigner que l'Évangile. Il semble avoir une quadruple origine, à cause des
quatre formes distinctes qu'il tient des évangélistes; il ne fait pourtant qu'un
seul évangile, embrassant à la fois la Naissance du Christ et sa Divinité, ses
miracles et sa Passion. D'autre part l'Écriture dit avec un rare bonheur, non
pas «Une nappe de lin», mais : «Comme une nappe de lin». (Ac 10,11). Le lin est
un symbole de mort. Toutefois, parce que la mort que le Seigneur subit dans sa
Passion, n'est pas ni, effet de la loi de nature, mais relève d'un décret de sa
libre Volonté, il est dit : «Comme une nappe de lin». Mort, en effet, selon la
chair, Il ne mourut pas selon l'esprit : «Son Ame n’a pas été abandonnée au
séjour des morts, et sa Chair n'a pas vu la corruption»; (ibid. 2,31)» et de
nouveau : «Personne, dit-il Lui-même, ne prend ma Vie; c'est de Moi-même que Je
la donne. J'ai le pouvoir de la donner, et J’ai le pouvoir de la reprendre.» (Jn
10,18).
Or donc, en cette nappe des évangiles envoyée du ciel, c'est-à-dire
tissée par l'Esprit saint, toutes les nations qui, jadis, étrangères à
l'observance de la Loi, étaient considérées comme impures, se réunissent par la
foi, pour mourir dans une immolation bienheureuse au culte des idoles et devenir
une nourriture de salut; et la Voix divine les déclare pures devant Pierre.
A
la neuvième heure, le Seigneur pénètre dans les enfers, dissipe les
inextricables ténèbres du Tartare par l'éclat de sa lumière, rompt les portes
d'airain et brise les serrures de fer; fait captive la captivité des saints, que
le dur enfer tenait dans ses cachots d’obscurité, et la mène triomphalement au
ciel avec soi; écarte l'épée flamboyante, et restitue au paradis son antique
habitant, par un miséricordieux témoignage de sa Bonté.
A cette heure aussi,
le centurion Corneille, tandis qu'il persiste dans la prière avec son habituelle
dévotion, connaît par la voix d'un ange qu'il a été fait mémoire devant le
Seigneur de ses prières et de ses aumônes; et le mystère de la vocation des
Gentils, révélé à Pierre à la sixième heure dans un transport d'esprit, lui est
manifesté.
C'est encore de cet instant qu'il est dit dans un autre endroit
des Actes des apôtres : «Pierre et Jean montaient au temple pour la prière de la
neuvième heure.» (cf. Ac 3,1)
Tout ceci prouve clairement que ces heures
justement consacrées aux devoirs de la religion par les saints de l’âge
apostolique, doivent être observées par nous semblablement. Hélas ! si une sorte
de loi ne nous forçait d'acquitter ces offices de la piété à des temps marqués,
nous passerions tout le jour dans l'oubli, la paresse ou les occupations
distrayantes, sans trouver un moment pour la prière.
Que dire maintenant des
sacrifices du soir que, même sous l'Ancien Testament, la loi de Moïse
prescrivait d'offrir sans interruption ? Dans le temple, chaque jour, se
faisaient les holocaustes du matin et les sacrifices du soir, bien que ce fût
avec des victimes figuratives : nous en trouvons la preuve rien que dans le
cantique de David : «Que ma prière monte comme l'encens devant ta Face; et que
mes mains s'élèvent comme le sacrifice du soir.» (Ps 140,2).
On petit
entendre aussi ce passage, dans un sens mystique, du véritable sacrifice du
soir, celui que notre Seigneur et Sauveur accomplit à la cène pour ses apôtres,
lorsqu'il inaugura les sacrés mystères de l'Église, ou par lequel Il S'offrit
Lui-même à son Père le lendemain pour le salut du monde, les mains élevées, vrai
sacrifice du soir, c'est-à-dire de la fin des temps. Dire qu'il élève les mains,
lorsqu'il les étend sur le gibet, c'est parler très exactement. Car il nous a
tous élevés, de l'enfer où nous gisions, jusques au ciel, selon la parole de sa
promesse : «Lorsque J'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi.»
(Jn
12,32).
Quant à la solennité des Matines, les textes que nous y chantons
journellement nous instruisent assez : «Ô Dieu, mon Dieu, je Te cherche dès
l'aurore»; (Ps 62,3) «Au matin, je méditerai sur Toi»; (Ibid. 7); «J'ai devancé
le matin, et j'ai crié vers Toi»; (Ps 117,147); « Mes yeux ont devancé le jour,
afin de méditer tes paroles.» (ibid. 148).
C'est encore à ces mêmes heures
que le père de famille de l'Évangile loua des ouvriers pour sa vigne. Ou nous le
montre, en effet, qui en loue dès la brime aurore, ce qui désigne notre
solennité de Matines; puis, à la troisième, à la sixième et à la neuvième heure;
enfin, à la onzième, qui signifie le Lucernaire.
CHAPITRE 4
La solennité du matin ne provient pas d'une
tradition ancienne; mais elle fut créée de notre temps, pour des raisons
particulières.
Pour la fonction canonique du matin (l'Heure de Prime), qui
s'observe aujourd'hui dans les régions occidentales surtout, c'est de mon temps
qu'elle fut primitivement instituée, et dans notre monastère, en ces lieux où
notre Seigneur Jésus Christ, après avoir daigné naître de la Vierge, et se
soumettre à la loi de la croissance, comme les autres enfants, fortifia de sa
grâce ma propre enfance dans la religion en ses premiers et tendres
commencements.
Jusqu'à cette époque, nos ancêtres dans la vie monastique
joignaient aux vigiles quotidiennes la solennité de Matines (Laudes) qui, dans
les monastères de Gaule, est séparée par uni léger intervalle des psaumes et des
oraisons de la nuit; le reste du temps, ils le consacraient au repos.
Mais
les négligents abusaient de cette indulgence, pour prolonger leur sommeil outre
mesure. Chose trop naturelle, dès là que nulle réunion ne les forçait à sortir
de leur cellule ou à se lever avant la troisième heure. Cependant, l'excès du
dormir leur laissait pour la journée même une torpeur grandement dommageable aux
divers travaux réclamés des frères; le fait était surtout visible en ces jours
où les saintes veilles se continuant depuis l'heure du soir jusqu'au voisinage
de l'aurore, le poids de la fatigue avait été plus lourd a porter.
C'est
alors que certains frères, distingués par leur ferveur, à qui cette négligence
déplaisait fort, portèrent plainte auprès des anciens. Ceux-ci prirent, pour
traiter l'affaire, tout le temps désirable. Enfin, après soigneuse délibération,
ils décidèrent que l'on concéderait aux moines, pour se refaire de leurs
fatigues, jusqu'au lever du soleil, c'est-à-dire jusqu'au moment où l'on peut
vaquer sans difficulté, soit à la lecture, soit au travail des mains. Après
quoi, tous seraient appelés à ce nouvel office (de Prime) et devraient se lever
en même temps. On y dirait trois psaumes et trois oraisons, selon le mode
anciennement institué pour Tierce et Sexte, en vue de marquer une triple
confession. Et désormais, c'en serait fini du sommeil; le travail commencerait.
Toutes choses partirent ainsi équitablement réglées.
Cette règle, née de
l'occasion, et établie de fraîche date pour le motif que je viens de dire, ne
laisse pas de compléter très manifestement et à la lettre le nombre désigné par
le bienheureux David, bien qu'il y ait là, aussi un sens spirituel : «Sept fois
le jour, j’ai dit tes louanges, au sujet des jugements de ta Justice.» (Ps
117,164). En effet, avec la nouvelle solennité, nous avons sept réunions de
prière par jour, et sept fois le jour nous disons les louanges du
Seigneur.
Remarquons-le toutefois : c'est de l'Orient que cet usage s'est
heureusement propagé jusqu'ici; et cependant, plusieurs monastères orientaux
très anciens, incapables de souffrir la moindre atteinte aux vieilles règles des
pères, ne l'ont pas encore admis jusqu'à ce jour.
CHAPITRE 5
Qu'il ne faut pas retourner dormir après les
oraisons matutinales (après Prime).
Quelques-uns, dans cette province,
ignorant le motif qui présida à l'institution de la solennité nouvelle,
retournent dormir, les psaumes du matin terminés. C'est précisément retomber
dans l'inconvénient que nos anciens se proposaient de faire cesser. On se hâte
d'expédier l'office à une heure telle, que voici de nouveau les négligents et
les tièdes dans l'occasion de reprendre leur somme. Et c'est ce qu'il ne
faudrait faire à aucun prix, comme je l'ai expliqué longuement, dans le livre
précédent, lorsque j'ai décrit la synaxe des Égyptiens. A ce jeu, la pureté
acquise par l'humble confession et les oraisons d'avant le jour, court grand
risque de se perdre, soit nécessité de nature, soit illusion de l'ennemi. Le
seul fait de dormir coupera court à notre ferveur. Nous sortirons du sommeil
attiédés par la torpeur; et nous traînerons tout le jour notre inertie et notre
paresse.
C'est là ce que les Égyptiens ont tant à coeur d'éviter. Et bien
qu'à certaines époques, ils se lèvent avant le chant du coq, ils tiennent, après
avoir célébré la synaxe canonique, à continuer leurs veilles jusqu'au jour, afin
que la lumière matutinale, lorsqu'elle luira sur eux, les trouve dans cette
ardeur spirituelle, et les garde la journée entière plus fervents et attentifs.
Ils sont prêts à la lutte, lorsqu'elle paraît, et affermis contre les combats
diurnes du diable par l'exercice des veilles nocturnes et la méditation
spirituelle.
CHAPITRE 6
Que nos anciens, en instituant la solennité du
matin (Prime) n'ont rien changé à l'antique ordre des
.psaumes.
Il faut savoir encore que nos anciens, lorsqu’ils ont cru
devoir introduire cette solennité matutinale, ne changèrent rien à l’antique
usage de la psalmodie; mais les synaxes de nuit continuèrent à se célébrer
toujours comme elles l’étaient devant. Les psaumes réservées en ce pays pour la
solennité de Matines (Laudes), c’est-à-dire le 118, qui commence par «Louez le
Seigneur du ciel», et les suivants, sont par eux chantés à la suite des vigiles
nocturnes, qu’ils terminent après le chant du coq, avant l’aurore. Ce sont les
50, 57 et 89 qui ont été assignés à la solennité nouvelle.
Enfin, dans toutes
les Églises d’italie, on chante aujourd’hui le psaume 50 après les psaumes de
Matines (Laudes). Cet usage est certainement emprunté de l’office dont nous
parlons : cela ne fait aucun doute pour moi.
CHAPITRE 7
Celui qui n’est pas
rendu à la prière du jour avant la fin du premier psaume, n’a pas licence
d’entrer à l’oratoire; pour la prière de nuit, le retard est véniel jusqu’à la
fin du deuxième psaume.
Celui qui, pour Tierce, Sexe ou None, n’est pas rendu à la
prière avant la fin du premier psaume, n’ose pénétrer dans l’oratoire ni se
mêler à la psalmodie. Mais il attend le renvoi debout devant la porte; et, à la
sortie des frères, il fait pénitence en présence de tous, prosterné jusqu'à
terre, afin d'obtenir le pardon de sa négligence et de sa lenteur. Il sait qu'il
ne peut expier autrement son péché de paresse, et que même il ne sera pas admis
davantage à la solennité suivante, trois heures après, s'il ne s'empresse de
satisfaire pour sa négligence présente dans les sentiments d'une vraie
humilité.
Aux synaxes de nuit, on fait grâce au retardataire jusqu'à la fin
du deuxième psaume, à la condition toutefois qu'il ait pris sa place au milieu
des frères, avant qu'ils se prosternent pour l'oraison, le psaume terminé. Il
serait soumis à la même censure et pénitence que ci-dessus, s'il tardait un
seuil instant après le délai fixé.
CHAPITRE 8
Ordonnance et durée de
la Vigile qui se célèbre depuis le soir, au samedi
commençant.
J'en viens à la vigile qui se célèbre chaque semaine depuis
le soir, au samedi commençant. Les anciens des monastères la font durer, pendant
l'hiver, où les nuits sont plus longues, jusqu'au quatrième chant du coq; et il
reste encore près de deux heures, où les moines, après avoir veillé toute la
nuit, se refont de leurs fatigues. Par ce moyen, ils ne languiront pas de
sommeil toute la durée du jour, contents d'un repos si bref, comme s'ils avaient
fait une nuit complète.
Il conviendra que nous observions, nous aussi, cet
usage avec la plus grande exactitude. Prenons le sommeil qui nous est accordé
après le renvoi de la vigile, jusqu'à la venue du jour, c'est-à-dire jusqu'aux
psaumes du matin (Prime); mais qu'il nous suffise; et passons la journée entière
dans les travaux et offices nécessaires. Si nous faisions autrement, la fatigue
et l'épuisement de la vigile nous pousseraient peut-être à reprendre durant le
jour le sommeil que nous avons dérobé à la nuit; et nous aurions l'air d'avoir
changé le temps du repos et déplacé la nuit, plutôt que d'avoir rien soustrait
de notre sommeil. La chair est fragile; on ne peut la frustrer de toute sa nuit,
et garder le lendemain une vigilance inaltérable, sans torpeur ni alanguissement
d'esprit. La vigilance en serait même empêchée, plutôt qu'aidée. Il faut goûter
quelque temps de sommeil après le renvoi de la vigile : le succès est à ce prix.
Par conséquent, nous nous accorderons une heure au moins de repos, comme il a
été dit, avant la venue du jour. De cette manière, nous gagnerons toutes les
heures de la vigile, passées dans la prière; car, ayant accordé à la nature son
dû, nous ne serons pas obligés de reprendre pendant la journée ce que nous
aurons soustrait à la nuit. C'est un point qui ne laisse aucun doute : il faudra
tout restituer à la chair, si, au lieu d'être raisonnable et de lui ôter une
part seulement, on prétend lui refuser tout, si, pour parler plus justement, on
veut lui retrancher le nécessaire, et non pas le superflu. Soyez excessifs,
inconsidérés, déraisonnables; prolongez la vigile jusqu'au jour : elle se payera
plus cher, immanquablement.
C'est dans le même sentiment que les moines
d'Orient divisent la Vigile en trois parties, afin que la variété divise aussi
le labeur, et que le plaisir du changement allège la fatigue : Après avoir
chanté debout trois antiphones, ils s'asseyent par terre ou sur des sièges très
bas, pour écouter trois psaumes. Un soliste donne le psaume; eux, la responsa.
Les frères se succèdent, de manière que chaque soliste ne chante qu'un psaume.
Ensuite, ils ajoutent trois leçons, dans la même position de repos. Et en
diminuant de la sorte la fatigue corporelle, ils peuvent célébrer leur vigile
avec un esprit plus attentif.
CHAPITRE 9
Pourquoi la Vigile du
samedi commençant, et l'usage de tout l'Orient de rompre le jeûne ce
jour-là.
Ce fut au temps de la prédication apostolique, lorsque se
fonda la religion et la foi chrétienne, qu’il fut décidé dans tout l'Orient de
célébrer cette Vigile au samedi commençant. Notre Seigneur et Sauveur avait été
crucifié le sixième jour de la semaine. Les disciples, sous le coup de la
passion encore toute nouvelle, passèrent la nuit entière à veiller, sans
s'accorder un instant de repos. De ce moment date l'institution d'une vigile en
cette nuit; et la coutume s'en est gardée jusque aujourd'hui dans tout l'Orient.
Les mêmes chrétiens de l'âge apostolique ayant décidé de rompre le jeûne du
samedi, après le labeur de la vigile, toutes les Églises d'Orient font de même,
et avec raison. Tel est, aussi bien, le sens d'une parole de l'Ecclésiaste. Elle
a un autre sens, mystique celui-là. Mais elle n'exclut pas le nôtre, et nous
pouvons y trouver le précepte de donner la même solennité au septième et au
huitième jour : «Donnez-en une part à sept, et même à huit.» (Ec 11,2). Il ne
s'agit pas d'aller prendre cette omission du jeûne pour une communion au sabbat
des Juifs, surtout chez des gens aussi évidemment étrangers à toute superstition
judaïque. Mais elle a pour huit, nous l'avons dit, de refaire le corps de son
épuisement. A jeûner cinq jours toutes les semaines de l'année, il se
fatiguerait aisément et tomberait en défaillance, si deux jours au moins de
trêve ne venaient le ranimer.
CHAPITRE 10
D'où vient qu'à Rome on jeûne le samedi
?
Ignorant le motif de cette institution, plusieurs, en
certaines villes d'Occident et particulièrement à Rome, estiment que l'on ne
doit pas rompre le jeûne le samedi, parce que, disent-ils, l'apôtre Pierre jeûna
en ce jour, avant de combattre contre Simon.
Mais cette circonstance même ne
fait que montrer plus évidemment que l'apôtre n'eut pas dessein de se conformer
à un usage canonique, et fut incliné plutôt par la nécessité. Il paraît clair
que, s'il prescrivit un jeûne, ce fut en vue de cette conjoncture particulière,
et pour la ville de Rome; un jeune spécial, par conséquent, et non pas général.
Ce qu'il n'eût certainement point fait, s'il avait su qu'on jeûnât d'ordinaire,
en vertu d'une coutume canonique. Et nul doute qu'il ne fût prêt à édicter
semblable ordonnance même le dimanche, si le combat était tombé ce jour-là. Ce
n'aurait pourtant pas été une raison de promulguer en règle un jeûne non établi
par une observance universelle, mais imposé par la nécessité et pour une
fois.
CHAPITRE 11
En quoi la solennité du dimanche diffère dès
autres jours.
On ne doit pas ignorer non plus,que, le dimanche, il ne se
célèbre qu'un office avant le repas. Seulement, les psaumes, les oraisons et les
lectures y ont plus de solennité et d'étendue par révérence pour la synaxe même
et la communion du Seigneur; et il compte à la fois pour Tierce et pour
Sexte.
Par cette méthode, on ne diminue rien du service de la prière,
puisqu'on ajoute des leçons; et néanmoins, cela fait une différence, un
adoucissement accordé aux frères, au prix des autres jours, par égard pour la
Résurrection du Seigneur. C'est comme une trêve, après l'observance de toute la
semaine. Par suite, ce jour est attendu comme une fête, avec une joie plus vive;
et cette attente rend moins sensibles les jeûnes de la semaine. On endure
toujours la fatigue d'une âme plus égale, et l'on se porte à l'ouvrage sans
répugnance, dès là qu'une certaine diversion, un changement quelconque dans le
travail doit venir rompre la monotonie.
CHAPITRE 12
A quels jours il y a souper; et comment, à ce
repas, on ne dit point de psaume, ainsi qu'on a coutume de le faire pour celui
de midi.
Enfin, les jours où l'on sert aux frères dîner et souper,
c'est-à-dire les samedis, dimanches et jours festifs, on ne dit point de psaume,
le soir, avant de se mettre à table, ni après, comme on a coutume de le faire
pour les repas plus solennels de midi ou pour la réfection régulière des jours
de jeûne, qui est également précédée et suivie des psaumes habituels. Mais on se
met à table après une simple prière; et on conclut de même, par une prière
seulement. C'est que ce repas est considéré comme extraordinaire chez les
moines, et tous ne sont pas tenus d'y venir. Y prennent part uniquement les
frères étrangers qui viennent d'arriver, les malades et ceux qui le
veulent.